Apple contre-attaque : une étude interne remet en cause l'efficacité réelle du DMA

Apple relance le débat autour du Digital Markets Act. Il s’agit cette fois d’une étude qu’elle a commandée au cabinet Analysis Group, publiée en novembre 2025, qui affirme que la grande réforme numérique européenne n’aurait ni amélioré la concurrence ni fait baisser les prix des applications. Ce document, présenté comme une analyse statistique massive de 41 millions de transactions sur l’App Store, cherche surtout à démontrer que la promesse initiale d’un marché plus ouvert et plus avantageux pour les utilisateurs reste largement non tenue. Mais sa publication soulève inévitablement une autre question : dans quelle mesure peut-on vraiment considérer cette étude comme impartiale ?
Une réforme ambitieuse dont Apple conteste aujourd’hui les effets
Lorsque le Digital Markets Act est entré en vigueur en 2022, la Commission européenne promettait une transformation radicale du marché numérique. L’objectif était d’obliger les géants de la tech à ouvrir davantage leurs écosystèmes afin de favoriser la concurrence et de réduire les coûts pour les consommateurs. Apple, directement ciblée comme plateforme d’accès incontournable, a été contrainte de revoir en profondeur les règles de l’App Store, notamment en diminuant certaines de ses commissions et en autorisant, sous conditions, des boutiques d’applications tierces et des systèmes de paiement alternatifs.
Ces modifications étaient censées profiter aux utilisateurs européens. Trois ans plus tard, Apple assure que ce n’est pas le cas.
Une étude de grande ampleur qui conclut à l’absence de baisse des prix
L’étude publiée par Analysis Group examine les prix avant et après l’application du DMA sur un échantillon colossal d’applications payantes et d’achats intégrés. Selon les résultats, les tarifs sont restés inchangés dans l’immense majorité des cas. Les cinq plus grands éditeurs européens n’ont procédé à aucun ajustement, tandis que seuls une poignée de développeurs indépendants ont appliqué de légères réductions.
Le chiffre mis en avant par Apple est saisissant : 91 % des prix n’ont pas évolué, malgré une baisse moyenne d’une dizaine de points sur les commissions de l’App Store. Pour la firme californienne, la conclusion est évidente. Les économies réalisées grâce au DMA n’ont pas été redistribuées aux utilisateurs.
Des économies captées par les développeurs, pas par les consommateurs
Analysis Group estime que les développeurs ont payé environ 20,1 millions d’euros de moins en commissions au cours de la période étudiée. Pourtant, ces économies n’ont pas stimulé la concurrence ni incité les éditeurs à revoir leurs tarifs. La quasi-totalité a été conservée au titre de marge supplémentaire.
L’étude va plus loin en expliquant que les principaux bénéficiaires ne se trouvent même pas dans l’Union européenne. Environ 86 % des économies auraient été captées par des développeurs situés hors d’Europe. Autrement dit, la régulation censée renforcer le marché européen de la création logicielle n’aurait que très marginalement soutenu son écosystème local.
Certaines conclusions évoquent même une augmentation des prix chez certains éditeurs, faisant du DMA l’occasion de revoir des catégories tarifaires sans lien avec la baisse des commissions.
Apple dénonce également un recul de la sécurité et de l’expérience utilisateur
Au-delà de la question des prix, Apple insiste sur les conséquences structurelles du DMA pour son écosystème. La firme évoque des compromis techniques et des mesures de sécurité qu’elle n’est plus en mesure d’appliquer en Europe. Elle cite notamment le retard de plusieurs fonctionnalités d’iOS 18 et d’iOS 26, dont certaines ne peuvent plus être déployées sans partage de données considéré comme sensible.
La synchronisation automatique des réseaux Wi-Fi entre l’iPhone et l’Apple Watch va par exemple disparaître en Europe, car Apple refuse d’autoriser des développeurs tiers à collecter les informations réseau nécessaires. La duplication d’écran de l’iPhone vers le Mac est également maintenue hors de portée des utilisateurs européens pour des raisons similaires.
Pour Apple, ces limitations représentent un signal clair. La régulation ne protège pas davantage les consommateurs. Elle fragilise leur sécurité tout en dégradant l’expérience générale.
Une étude contestée pour ses angles morts
L’étude publiée par Analysis Group présente toutefois des limites évidentes. Elle se concentre exclusivement sur les données internes à l’App Store et ne prend pas en compte deux effets clés du DMA : les ventes réalisées directement sur les sites des développeurs et les achats effectués via les nouvelles boutiques d’applications alternatives, désormais autorisées en Europe.
Certaines baisses de prix pourraient très bien se produire hors de l’écosystème d’Apple, ce que l’étude ne mesure pas. De même, l’impact à long terme de l’ouverture du marché n’apparaît pas dans un échantillon temporel limité à six mois.
Cela signifie que l’analyse, bien que volumineuse, reste étroitement cadrée. Le financement par Apple ajoute un autre biais possible. Le rapport illumine tout ce qui renforce la position de la firme, tout en laissant dans l’ombre les aspects qui pourraient donner raison à la Commission européenne.
Une bataille politique et économique loin d’être terminée
La Commission européenne estime que le DMA doit être évalué sur le long terme et que la transformation du marché nécessite du temps. De son côté, Apple défend une vision d’un écosystème cohérent, sécurisé et contrôlé de bout en bout, quitte à maintenir un modèle fermé critiqué pour ses pratiques anticoncurrentielles.
Le rapport publié en novembre 2025 ne met donc pas un point final au débat. Il marque simplement une nouvelle étape dans l’affrontement entre Bruxelles et Cupertino. D’un côté, une législation ambitieuse qui cherche à rééquilibrer un marché dominé par quelques géants. De l’autre, un acteur historique prêt à défendre coûte que coûte un modèle économique qui lui a permis de bâtir l’un des écosystèmes les plus profitables au monde.
La confrontation entre Apple et l’Union européenne n’a jamais été aussi frontale. Et le DMA, loin de produire un consensus, devient le terrain de bataille d’une question bien plus vaste : jusqu’où peut-on réguler l’innovation sans la freiner ?
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