Apple plie mais ne rompt pas : Bruxelles force l'App Store à s'ouvrir, la bataille juridique continue

Sous la menace d'une astreinte pouvant atteindre 5 % du chiffre d'affaires mondial quotidien, Apple a fini par déposer, jeudi 26 juin 2025, une nouvelle version de ses conditions d'utilisation de l'App Store dans l'Union européenne (UE). Cette "mise en conformité", exigée après l'amende record de 500 millions d'euros infligée en avril pour clauses anti concurrentielles, doit encore être validée par la Commission, qui consulte désormais les parties prenantes. Apple, mécontente, prépare déjà un recours qu'elle devra déposer avant le 7 juillet.
Une victoire politique pour le DMA, un compromis technique pour Apple
Le Digital Markets Act (DMA), entré en vigueur l'an dernier, vise à empêcher les gardiens d'accès ("gatekeepers") de verrouiller leurs écosystèmes. Dans le dossier App Store, Bruxelles reprochait surtout à Apple son interdiction faite aux développeurs de "détourner" les achats in app vers des canaux concurrents. Les nouvelles règles autorisent désormais l'ajout de liens multiples (vers un site web, une marketplace alternative ou une autre application) et l'usage de paramètres de suivi standard, tandis que l'avertissement d'Apple - le fameux scare sheet - ne sera plus affiché qu'une seule fois, l'utilisateur pouvant ensuite le désactiver.
Davantage de liberté… et une jungle tarifaire
En échange de cette ouverture, Cupertino instaure un barème inattendu :
- Frais d'acquisition initiale : 2 % sur tout achat réalisé dans les six mois suivant l'installation (exonération pour les petites structures).
- Store Services Fee calé sur deux "niveaux" : 5 % pour le service minimum (plus de mises à jour automatiques ni de mise en avant dans l'App Store), 13 % pour l'expérience complète, taux abaissé à 10 % pour les PME et les abonnements de plus d'un an.
- Commission technologique : 5% sur les ventes effectuées via un lien externe (Core Technology Commission) : elle remplacera, au 1er janvier 2026, l'actuelle Core Technology Fee de 0,50€ par installation au delà d'un million de téléchargements annuels.
Résultat : un développeur qui garde le paiement Apple paiera 17 % + 3 % de frais de traitement, contre 20 % historiquement. S'il bascule vers un paiement externe, il sera taxé à 2 % puis à 5 % ou 13 % selon la visibilité souhaitée, avant d'éventuellement supporter le 5 % de commission technologique unifiée en 2026.
"Conformité malveillante" : la fronde des grands éditeurs
Chez Spotify, Netflix ou Epic Games, la mesure la plus applaudie reste la fin du bâillon qui interdisait jusqu'ici de signaler un abonnement moins cher sur le web. Mais certains y voient un "piège". Tim Sweeney (Epic) dénonce un schéma "manifestement illégal" transformant chaque liberté en surcoût, et prévient que les tiers qui refuseront les services promotionnels d'Apple seront "commercialement asphyxiés".
L'Union européenne évalue la réponse d'Apple
La Commission a indiqué qu'elle n'excluait pas de nouvelles sanctions si les correctifs s'avéraient insuffisants. Les services de Margrethe Vestager vérifient notamment la proportionnalité de la Commission technologique et l'impact de la perte d'outils de découverte pour les applications restées au niveau?1. En cas de non conformité, des pénalités quotidiennes jusqu'à 50 millions d'euros pourraient être réactivées.
Un précédent pour le reste de l'industrie numérique
En contraignant Apple à renoncer (partiellement) au modèle fermé qui fonde sa rentabilité, Bruxelles envoie un signal aux autres géants visés par le DMA : Meta, Google ou Amazon en testant sa capacité à remodeler des plateformes globales depuis l'Europe. Le bras de fer aura aussi une conséquence directe pour les consommateurs : plus de choix de paiement, des tarifs potentiellement plus bas… à condition que les coûts supplémentaires imposés aux éditeurs ne soient pas répercutés à la hausse.